Une semaine sous le signe du baril d’or noir

Une économie basée sur le baril de pétrole et le Coronavirus ? Inutile de vous rappeler le fait que nous vivons une époque formidable qui est principalement pilotée par nos perceptions sur le Coronavirus et l’impact psychologique et économique que ce dernier peut avoir dans l’avenir.

Il n’y a aucune certitude sur le futur, sur l’avenir et sur comment nous allons vivre ces prochaines années de colocation avec le COVID-19.

Ajoutez à cela le fait que les marchés DÉTESTENT l’incertitude et vous aurez une bonne idée de ce que l’on vit actuellement : « un marché qui n’a plus ni queue, ni tête ». Oh, il ne faut pas s’inquiéter, tout va revenir à la normale. On a beau lire partout sur les réseaux sociaux que l’on va revenir plus fort, dans un monde meilleur : un monde basé sur le partage, la collaboration et l’amour de son prochain.

Bonnes habitudes capitalistes

En réalité, on sait tous que dès que l’on pourra ressortir dans la rue, prendre l’avion et aller au resto, on reprendra nos bonnes vieilles habitudes capitalistes, en faisant de temps en temps un don à Greenpeace. On pourra même se surprendre à dire que Greta, elle n’est quand même pas si mal.

Je ne dis pas ça pour être fataliste, mais il suffit de regarder le chiffre d’affaire phénoménal du magasin Hermès de Shanghai depuis que les Chinois sont sortis de confinement. Ça se chiffre en millions de dollars, un peu comme si la seule chose qui avait manqué aux Chinois pendant ces semaines de confinement, c’était d’acheter une ceinture, un sac à main ou une cravate hors de prix. Autant vous dire que nous allons faire exactement la même chose, ça ne sera peut-être pas Hermès pour tout le monde, mais disons que nos habitudes vont reprendre parce qu’il est tout de même très rare que l’être humain change complètement son train-train quotidien.

En attendant, on se projette

Quoi qu’il en soit, en attendant que l’on puisse ressortir de la prison de nos salons, de nos cuisines ou autres salles de bains, on essaie de se projeter dans l’avenir. Comme vous vous en êtes sûrement rendus compte, tout le monde est devenu expert en quelque chose ces derniers temps. Que ce soit en virologie, en épidémiologie ou même encore plus récemment : en matières premières.

Il suffit de passer trois minutes sur Facebook, LinkedIn, Twitter ou Instagram et vous verrez qu’il y a toujours quelqu’un quelque part qui sait ou plutôt… qui semble savoir. Actuellement et ces derniers jours, nous sommes en train de nous interroger sur les conséquences du déconfinement, sa rapidité à se mettre en place et à quelle vitesse nous pourrons retrouver une vie normale.

Les experts… de la finance

Soyons clair et mettons de côté le fait qu’il se peut aussi que le fait de ressortir trop tôt de confinement pourrait créer une seconde vague de contamination qui serait pire que la première. Il semblerait que les gouvernements savent ce qu’ils font et qu’il n’y a aucune raison de mettre en doute les décisions d’un Macron et surtout d’un Donald Trump.

Non, ce que nous sommes en train de faire actuellement – dans le monde merveilleux de la finance. C’est de voir à quelle vitesse on va retrouver une croissance économique « normale ». À quel moment nos tableurs excel que nous avions savamment programmé depuis des années AVANT le COVID, retrouverons leurs fonctions premières afin de nous permettre de prendre des paris d’investissements sur l’avenir. On se demande aussi à quelle vitesse les 26 millions de chômeurs actuellement déclarés aux USA vont retrouver un boulot précaire jusqu’à la prochaine crise.

Effondrement du baril, les premières conséquences

Mais avant de retrouver une vie normale, nous sommes aussi en train de prendre conscience des conséquences concrètes que cette crise sanitaire peut avoir sur notre quotidien. Le dernier évènement en date, évènement qui aura principalement « meublé » la semaine qui vient de s’écouler, c’est l’effondrement du pétrole.

Vous aurez sûrement entendu des dizaines de reportages à la radio, à la télé et sur Facebook. Des reportages qui expliquaient que le pétrole était « pour la première fois de l’histoire », passé en terrain négatif.

Vous aurez sûrement entendu que certains étaient prêts à payer pour se débarrasser de leur pétrole et pourtant vous, quand vous allez à la pompe, vous payez toujours pour faire le plein. Alors forcément, lorsque l’on entend au 20 heures que le pétrole vaut moins que zéro, on se pose quand même des questions. C’est pour ça qu’il est bon de remettre l’église au milieu du village.

Projetons-nous

Avant d’aller plus loin, je vais vous remettre dans l’ambiance et revenir en détail sur ce qui s’est passé lundi dernier. Je vais essayer de vulgariser la chose pour que tout le monde comprenne. On va se projeter une semaine en arrière, il est 7h du matin, nous sommes le mardi 21 avril et le pétrole part en vrille.

Le futures WTI sur le pétrole qui sert de référence aux Américains s’est vautré de façon historique, puisqu’à un certain moment de la journée du lundi 20 avril, l’échéance mai du baril se traitait plus de 30 dollars au-dessous de zéro. Oui vous avez bien lu, la personne qui détenait des futures pour l’échéance de mai était prête à payer 30$ pour s’en débarrasser. Sachant que celui qui prenait le risque de récupérer ces contrats, se retrouvait dans l’obligation de prendre livraison physique des barils concernés.

Alors je vais tenter de rendre cette explication aussi digeste que possible pour essayer de vous faire comprendre simplement ce qui s’est passé la semaine dernière. Mais ça ne sera pas simple, parce que depuis hier soir, sur Facebook, tout le monde a suivi un « cours express » et il y a des millions de gens qui sont devenus experts en « pétrole » et en matière première en l’espace de 12 heures et je ne voudrais pas commettre d’impair.

Le baril de pétrole gratuit, mais pas encore à la pompe (voir jamais)

Si l’on commence par le début, il faudra donc bien comprendre que lorsque vous achetez du pétrole via des « futures ». Cela veut dire que si vous conservez le contrat. C’est que vous voulez prendre livraison physique du produit (en l’occurrence ; du pétrole brut).

C’est déjà la première différence entre un future sur un indice boursier (où l’on ne parle que de cash à l’échéance) et un future sur matière première qui inclus la livraison de la matière première en question.

Le principe est exactement le même si vous traitez des futures sur du « troupeau vivant » (le « live cattle » comme on dit dans les grandes plaines arides du Texas où vivent encore les vrais Cowboys). Imaginez, la même situation que pour le pétrole, vous vous retrouvez avec 250 têtes de bétail dans votre appartement de 5 pièces : plutôt désagréable.

Voici donc ce qui s’est passé lundi dernier

Alors que l’échéance mai du baril WTI est prévu pour le mardi, tous ceux qui avaient encore des contrats « mai » sur leur compte ont voulu les vendre pour passer sur juin. Grand classique mensuel que l’on appelle « le rolling ». En règle générale, lorsque les traders liquident leurs positions à l’approche de l’échéance, il y a toujours de la demande. Ne serait-ce que les raffineurs qui rachètent le physique pour le transformer en essence pour pouvoir faire le plein de vos SUV’s afin que vous puissiez emmener la famille en week-end au bord de la mer.

baril gaphique

Sauf que cette année, vu que la plupart des SUV’s sont confinés dans un garage en attendant l’autorisation de sortir, la demande réelle s’est littéralement évaporée et les acheteurs naturels de pétrole. Ceux qui en font vraiment quelque chose ne savent plus où le stocker. Les cuves sont pleines, les tankers sont pleins et plus personne ne s’arrête à la station-service pour mettre de l’essence.

Plus personne ne veut du baril

Résultat, plus personne ne veut prendre livraison physique de pétrole. Du coup, ceux qui se retrouvaient collés avec des futures mai en position et qui n’ont pas de cuve de stockage à la maison et que madame et les enfants n’étaient pas d’accord pour vider la piscine et la remplir de pétrole, n’ont pas eu d’autre choix que de tout balancer. Sauf que quand il n’y a pas de demande DU TOUT, au mieux c’est zéro et quand tu dois VRAIMENT te débarrasser de ce truc qui colle aux doigts, tu es même prêt à payer pour qu’on t’en débarrasse, d’où les aberrations de mardi dernier.

L’effet confinement a fait son office

La semaine dernière nous avons simplement pu observer le principe d’un short-squeeze inversé. En gros le vendeur doit absolument vendre parce qu’il ne peut pas stocker et c’était le grand jeu de la « patate chaude » : le dernier qui se retrouve avec un contrat mai au jour de l’échéance, il va devoir se débrouiller avec ses barils de pétrole.

Comme ça prend un peu de place dans le salon et que ça ne sent pas super bon, c’était le principe du « sauve-qui-peut ». À un certain moment, le baril traitait à moins 35$ et mardi matin à l’échéance mai, le prix est revenu à 1.39$ le baril. En gros, ça nous met le litre à moins de 1 centime, autant vous dire que si cela était répercuté à la pompe – ce qui ne le sera JAMAIS – ça coûterait moins cher de faire le plein d’un V12 essence que d’acheter une bouteille de vin rouge.

Spéculation sur le baril de pétrole

Dès lors, tout le monde s’est lancé dans l’hyper-spéculation pour savoir ce qui se passera sur le contrat juin – qui lui, valait encore 21.39$ le baril mardi matin et qui vaut aujourd’hui encore 17$. Pour parler technique, la différence entre le contrat le plus proche et le contrat plus lointain s’appelle « le contango ».

Il faut tout de même reconnaître que nous sommes dans une situation exceptionnelle, une industrie qui continue à produire à plein régime. Même si l’OPEP a réduit ses quotas récemment (peut-être trop tard), quasiment plus de consommation du tout en raison du confinement et plus d’espace de stockage. On peut déjà imaginer que d’ici fin mai, lors de l’échéance du contrat juin, la pression pourrait être similaire et tant que la consommation mondiale n’a pas retrouvé un niveau « correct », le même phénomène pourrait se reproduire ces prochains mois.

Pas encore sortis de l’auberge

Si l’on en croit les échéances plus lointaines, les traders-experts parient sur le fait que d’ici décembre, tout sera revenu à peu près à la normale. Le future décembre se traite autour de 33 dollars. Ce qui fait tout de même plus de sens. Il est donc important de comprendre que même s’il est exact que des contrats futurs sur le pétrole se sont réellement vendus « en négatif », le volume se traitait déjà sur contrat juin qui lui, était encore nettement en terrain positif. Aujourd’hui le prix du pétrole est à 17$ sur l’échéance de juin. Échéance que qui aura lieu le 18 mai.

Mais que l’on soit bien clair – celui qui a acheté du pétrole à -35$ ne pourra en aucun cas revendre son pétrole aujourd’hui – à moins d’avoir pu stocker du baril « physiquement » pendant une semaine. J’espère que ceci relativise un peu tout ce que l’on a entendu ces derniers jours.

Les conséquences de la disparition de la demande

Le Coronavirus a fait s’évaporer la demande en pétrole ; l’aviation ne consomme plus, les transports maritimes ne consomment plus et les automobilistes se sont mis à la trottinette électrique.

La demande disparaissant, les inventaires explosent. Ceux qui peuvent stocker en sont à récupérer des bouteilles d’Evian vides pour les remplir de pétrole et les mettre à la cave, en virant le Mouton Rothschild 1982 pour faire de la place.

Et la gé-guerre entre les Russes et les Saoudiens qui n’ont pas coupé la production assez tôt (avec peut-être l’intention de tuer l’industrie du pétrole américain à peine dissimulée) n’a sûrement pas arrangé les choses.

La déconfiture du baril de pétrole

Aujourd’hui, lorsque que l’on observe la situation : la déconfiture du pétrole aura été la première conséquence concrète et réelle de l’effet Coronavirus. Il est clair que cet effondrement ne restera pas sans effet sur les bourses mondiales. Certains experts pensent encore que le pétrole est un indicateur de la bonne santé de l’économie mondiale. Ce qui est vrai dans une situation normale. Aujourd’hui, nous ne sommes pas dans une situation normale. Mais en voyant ce qui s’est passé la semaine dernière, on peut imaginer que l’impact du Coronavirus sur l’économie n’a pas fini de faire parler de lui.

Actuellement les indices boursiers mondiaux sont dans une espèce de zone d’attente. Si l’on regarde le tableau des performance hebdomadaires ci-dessous, on peut clairement se rendre compte qu’il ne se passe pas grand-chose, que nous sommes en plein zone d’hésitation après ce récent rebond.

La psychologie des marchés

Si nous sommes au milieu de nulle part comme c’est le cas actuellement, c’est que nous cherchons notre voie. Le rebond qui nous a ramené jusque-là aura été principalement mené par le fait que les gouvernements ont mis en place toute une gamme de mesures pour le soutien économique mondial.

On ne sait pas si tout cela suffira et quelles seront les conséquences sur les dettes des pays et ce que cela provoquera dans les années à venir. L’analyse à long terme n’est de toute façon pas la tendance des marchés actuels.

Nous voici donc suspendus entre terre et ciel en train de se demander quelles seront les conséquences du COVID19 sur nos économies et si le rebond récent de 30% valorise correctement les plans de sauvetages de nos bien-aimés politiciens. La réponse nous ne l’aurons pas demain. Il faudra attendre un retour à la normale pour voir comment tout cela se passe.

Les questions sans réponse

Il reste néanmoins des craintes qui pèsent sur le marché :

Toutes ces questions qui sont – pour l’instant sans réponse – sont notre épée de Damoclès et nous n’avons que très peu de visibilité sur l’avenir. Lorsque l’on observe un peu ce qui se passe dans le monde financier, on voit que l’on ne sait pas. En gros, c’est soit on parie sur un retour à la normale et on estime que d’ici Noël on aura tout oublié ou alors on parie sur un nouvel effondrement qui pourrait nous ramener sur les niveaux les plus bas du mois de mars. Une chose est certaine : personne ne table sur le fait que l’on puisse consolider sur ces niveaux.

Qu’attendre pour cette semaine à venir

Dans les jours qui viennent nous allons avoir la FED et la BCE qui vont se prononcer sur les mesures à venir. Je crois que jamais dans l’histoire de la finance nous n’avons autant attendu de l’une comme de l’autre. Les deux banques centrales se retrouvent quasiment démunies du côté des taux et au mieux, elles pourraient annoncer un soutien supplémentaire.

Soutien qui aura intérêt à être énorme le cas échéant. Avec le temps, nous sommes devenus gourmands et exigeants. En attendant, nous allons prendre le temps d’observer et de voir ce qui va nous tomber dessus ces prochains jours. En observant les deux graphiques ci-dessous (le S&P500 et le CAC40), on se rend bien compte que nous sommes dans une phase de consolidation latérale. Dans ce genre de configuration, il nous faut attendre patiemment la sortie par le haut ou par le bas pour essayer de visualiser le prochain mouvement. La question est de savoir si c’est le camp des Bulls ou celui des Bears qui gagnera.

En attendant que les choses se décantent, prenez soin de vous et restez sagement à la maison, il vaut mieux être un trouillard vivant qu’un héros mort.

À la semaine prochaine.

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